Au cours d’un récent reportage en Tanzanie, nous avons interviewé le directeur des opérations de Tanganyika Expeditions, agences réceptive locale (fournisseur de prestations pour les tour-opérateurs et agences de voyages français(e-s), précurseur de l’écotourisme en Tanzanie et initiateur des safaris en véhicules 4×4 électriques.
Interview de Denis Lebouteux de Tanganyika Expéditions, précurseur de l’écotourisme en Tanzanie
Voyager Luxe: Denis Lebouteux vous êtes un précurseur de l’écotourisme en Tanzanie et vous venez de franchir un pas supplémentaire dans cette démarche en équipant certains de vos camps en véhicules 4X4 électriques pour effectuer les safaris dans le plus grand respect de l’environnement. Comment les véhicules électriques sont-ils utilisés dans les safaris en Tanzanie et en quoi cela contribue-t-il à une approche plus respectueuse de l’environnement ?
Denis Lebouteux : Nous opérons à ce jour, douze 4X4 électriques : 10 pour faire du safari et 2 pick-up pour des missions de logistique. Ces véhicules fonctionnent comme les véhicules thermiques, mais ils ne polluent pas du tout, ont des coûts d’exploitation inférieurs, sont silencieux (ce qui facilite l’approche des animaux, surtout chez les nocturnes), et ne dégagent aucun gaz d’échappement (gaz qui peuvent être très désagréables pour les passagers dans des véhicules ouverts).
Par ailleurs, depuis 2018 que nous avons adopté cette solution, nous n’avons eu à déplorer que très peu de pannes et beaucoup moins d’usure des parties mécaniques des véhicules. La recharge des batteries s’effectue à chaque fois que les voitures rentrent à leur base (après un safari matinal, ou un safari de nuit, ou un transfert aéroport …) donc à tout moment de la journée. La recharge est 100% solaire. Tous nos lodges sont équipés de panneaux solaires.
V.L : L’utilisation de véhicules électriques fait elle l’objet d’une communication spécifique auprès des clients, en amont et durant le voyage ?
D.L : Nous communiquons effectivement sur ce service exclusif à ce jour en Tanzanie auprès de nos clients (le réseau des agents de voyages et les tour-opérateurs). Je fais l’hypothèse que l’information est bien retransmise au consommateur final…
V.L : Quelles sont les réactions des clients ? L’écotourisme constitue-t-il un avantage concurrentiel et le profil des clients a-t-il évolué depuis l’équipement en électrique ?
D.L : Disons que l’aspect écologique de cette spécialisation n’est qu’une petite facette d’un safari en Tanzanie, mais certains clients, plus sensibles à ce genre de démarche et à l’écotourisme en général, nous donnent leur préférence. D’autant que cela ne leur coûte pas plus cher dans leur forfait !
V.L : Quels sont vos projets futurs en la matière ?
D.L : Nous aimerions passer de plus en plus de nos véhicules en version électrique (environ une centaine si l’on compte les véhicules logistiques de Tanganyika Expéditions), mais nous devons étaler l’investissement que cela représente dans le temps. Nous restons fidèles à la politique des petits pas pour atteindre cet objectif. D’autre part, avec la Cie E.Motion que nous avons créée pour proposer le « retrofiting » à d’autres, nous comptons faire des émules dans la profession, pour le bien de tous. Nous étudions également un partenariat avec la compagnie de bus de transport urbain de Dar es Salaam. Nous sommes dans une démarche globale de durabilité. Dans notre vision, l’économie et l’écotourisme font bon ménage !
V.L : Quelles sont les principales différences entre les safaris électriques et les safaris conventionnels en terme d’impact sur la faune et la flore locales ?
D.L : Des véhicules parfaitement silencieux sont moins stressants pour les animaux qui n’aiment pas trop le bruit des gros moteurs diesel. C’est particulièrement vrai pour la faune nocturne. Cela permet une approche moins agressive. On a également parlé des gaz d’échappement qui peuvent provoquer la nausée des passagers quand ils se déplacent à faible vitesse en voiture ouverte.
Quant à la flore, elle ne me tiendra pas rigueur de mes petites économies de CO², le monde en émet tellement …
V.L : Au-delà de l’amélioration en termes de pollution et de nuisances sonores, avez-vous mis en place de nouvelles façons de se déplacer dans les réserves afin de réduire l’impact sur la faune et la flore ?
D.L : je ne vois pas ce que nous pouvons faire de mieux pour le moment… sauf à circuler à pied dans la savane et le bush, ce que nous faisons déjà, quand c’est possible en termes de sécurité pour nos clients. Mais cela, certains opérateurs locaux le pratiquent aussi…
V.L : Pourriez-vous décrire comment les guides de safari en Tanzanie sont formés pour accompagner les visiteurs lors de safaris électriques ?
D.L : Il n’y a pas de formation particulière pour les guides-chauffeurs. On leur enseigne juste quelques spécificités sur la conduite des 4X4 électriques, ainsi que des consignes afin de respecter la consommation des batteries lorsqu’ils effectuent des safaris un peu longs. C’est pour cela que nos véhicules sont bridés… L’approche des animaux, ils connaissent déjà.
V.L : Comment les safaris électriques contribuent-ils à la sensibilisation et à l’éducation des visiteurs concernant la conservation de la faune et de la flore ?
D.L : Quand ils sont en situation, les clients apprécient le fait de rouler en silence, sans perturber l’écosystème. L’approche silencieuse de la faune est particulièrement appréciée et la neutralité en carbone devient aussi un vrai sujet dans les conversations. Pour la flore, c’est surtout lors des safaris à pied que la clientèle est sensibilisée à l’environnement global et à l’écosystème tanzanien. Les visiteurs font preuve d’un vif intérêt pour les découvertes qu’ils font et ils deviennent ainsi plus réceptifs à l’aspect environnemental et écologique de leur voyage. Ce qui n’était pas forcément le cas avant de vivre cette expérience d’ecotourisme aboutie…
V.L : Le niveau de réceptivité progresse-t-il et quelles sont les réactions, les différences en fonction des cibles (nationalités, âges, CSP, sexe…) ?
D.L : En fait, dès lors qu’ils sont mis en situation et bien guidés, tous les clients sont sensibles à l’aspect écologique des safaris. Des plus jeunes aux plus anciens, hommes et femmes, chacun puise dans le flot d’informations qui leur est prodigué au cours des safaris. Nous avons une majorité de visiteurs français et francophones (suisses, belges et canadiens) et chacun perçoit l’intérêt de ces expériences en fonction de sa culture propre et de sa sensibilisation aux problèmes de l’écotourisme avant de venir. Nous avons aussi des clients venus d’Allemagne, d’Angleterre, d’Espagne et de Hollande, qui ont entendu parler de nous… Tous repartent ravis d’avoir fait cette expérience.
V.L : Les clients ont-ils des suggestions d’améliorations en matière de bien-être animal et de protection de la faune ?
D.L : Assurément, de temps à autre… Le sujet est complexe et vaste, mais il est plutôt bien géré en Tanzanie.
V.L : La mise en place des safaris électriques a-t-elle changé le profil des clients ?
D.L : Bien entendu, les clients ayant entendu parler de ce service exclusif de Tanganyika Expéditions ont, bien souvent, choisi nos circuits pour vivre, en particulier, cette expérience. Ceux-là ont déjà une sensibilité à l’écotourisme bien développée. Pour les autres, c’est une découverte qui les ravit et ils la vivent comme un plus à leur voyage.
V.L : Quelles sont les réactions des visiteurs par rapport à cette approche plus respectueuse de l’environnement dans le cadre de leur expérience de safari en Tanzanie ?
D.L : La réaction est extrêmement positive. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement ?…
V.L : Sont-ils prêts à payer plus cher pour une expérience véritable d’écotourisme en Tanzanie ?
D.L : C’est en tout cas ce qu’ils disent, mais chez nous le problème ne se pose pas, puisque nos forfaits ont connu une baisse depuis que nous proposons nos safaris en 4X4 électriques et nous sommes donc naturellement bien placés sur le marché en termes de tarification.
V.L : En quoi les safaris électriques en Tanzanie contribuent-ils à l’économie locale et au développement durable de la région ?
D.L : Tout d’abord, cette forme de tourisme draine une clientèle nouvelle, en quête de sens pour ses voyages. Elle contribue ainsi au développement de l’écotourisme en Tanzanie et l’image du pays s’en trouve améliorée. Par ailleurs, nous employons aujourd’hui de plus en plus de personnel local, issu des régions où nous sommes implantés, ce qui, d’un point de vue purement économique, est très important pour ces régions en sous-emploi. Ces gens que nous formons à la spécificité de nos métiers sont très fiers d’y participer. C’est une motivation supplémentaire pour eux.
Par ailleurs, la création récente d’E.Motion (société de transformation des véhicules) génère et va générer de plus en plus d’emplois (nous avons déjà une dizaine de collaborateurs dédiés à cette activité). J’ai la conviction que le « rétrofiting » (transformation d’un véhicule Diesel ancien en véhicule électrique) va s’imposer en Afrique. Nous ne sommes que les pionniers …
L’essor de cette activité se traduira par la création de très nombreux emplois dans le pays.
V.L : Quelles retombées et prise en compte du bien-être des populations locales ?
D.L : Nous sommes en Afrique et l’emploi d’une personne fait vivre toute une famille, voire plus…Sans compter qu’avec les formations qu’ils reçoivent et la pratique in situ, ils se retrouvent détenteurs d’un vrai savoir-faire.
V.L : Existe-t-il des certifications ou labels durables (écologiques et solidaires) nationaux ou internationaux auxquels souscrivent les initiatives en matière de safaris et de tourisme en général en Tanzanie, lesquels et comment sont-ils contrôlés ?
D.L : Je ne suis pas familier avec les labels, les certifications et les récompenses. Je n’en connais aucun et n’en ai reçu aucun. Je pense qu’il faut en faire la demande. Je ne l’ai pas faite.
V.L : Avez-vous des exemples de pratiques écoresponsables mises en place par d’autres organismes qui proposeraient des safaris électriques en Tanzanie ?
D.L : A ce jour nous sommes malheureusement les seuls à offrir ce service. Il serait pourtant profitable à tous que des confrères nous emboîtent le pas. Cela donnerait à la Tanzanie une véritable image de pays où l’écotourisme est une priorité. C’est pourquoi nous tenons à partager notre savoir-faire avec nos confrères en leur apportant l’aide logistique et technologique dont ils auront besoin pour la transformation de leurs 4X4 en véhicules électriques. Notre vision est globale et de faire des émules ne pourra que nous conforter dans cette ambition de faire de la Tanzanie un pays leader de l’écotourisme. Cette perspective nous anime et nous pensons avoir tout et tous à y gagner !
V.L : Quels sont les autres aspects de l’évolution vers plus de durabilité des safaris et d’écotourisme en Tanzanie ?
D.L : Quand cette étape sera franchie et que tous les professionnels du tourisme seront « entrés dans la danse » nous pourrons étudier la question. Nous pratiquons une politique de petits pas à laquelle nous croyons. Nous savons qu’il faut accepter le temps nécessaire à cette transition écologique.
PLUS D’INFO : https://www.tanganyika.com/
Lire aussi : https://voyagerluxe.com/le-tourisme-durable-en-tanzanie/