Le groupe hôtelier jamaïcain Sandals qui règne en maître de l’hôtellerie de loisir en formule "all inclusive" dans les Caraïbes, possède deux hôtel-clubs aux Bahamas : le Royal Bahamian Spa resort 4* à Nassau et le Sandals Emerald Bay 5* sur l’île de Great Exuma. Chaque resort a son parcours de golf dessiné et construit par Greg Norman, l’un des plus grands champions de golf de tous les temps. Dans le cadre du contrat marketing qui le lie à la chaîne hôtelière, ce chef d’entreprise, aujourd’hui milliardaire, vient occasionnellement honorer les clients (conviés pour l’occasion) de sa présence pour une démonstration et quelques "blagues golfiques" bien senties. À cette occasion, nous avons pu l’interviewer et l'homme n'a rien perdu de son esprit combatif…
V.L : Avec l’arrêt de la fabrication de clubs par Nike et des ventes des équipements TailorMade par Adidas, il semble que l’industrie du golf ne se porte pas très bien. En tant que chef d’entreprise, quel est votre point de vue sur cette industrie ?
G.N : On peut répondre à cette question de plusieurs façons. Le golf est actuellement en progrès dans beaucoup de régions et particulièrement aux USA où beaucoup de parcours ont été construits dans les années 80 et 90. Mais avec la crise de 2008 les grosses sociétés, comme celles que vous avez citées, qui s’étaient impliquées surtout dans la fabrication de clubs et de balles ont vu le revenu de ces lignes de produits diminuer fortement.
Mais ce que nous voyons, c’est une forte croissance parmi les fabricants historiques, de l’ordre de 12 à 13 % sur 2015/2016, ce qui est très positif, et l’on prévoit une continuité de cette progression sur les 10 prochaines années. Un autre signe positif ( toujours aux USA), c’est le recensement des communautés de membres de clubs qui achètent un logement sur un parcours de golf. Le chiffre est plutôt stable et nous constatons même un léger rebond ces 2 dernières années.
Enfin, toujours, aux USA, avec l’élection de Donald Trump, l’économie devrait aller beaucoup mieux dans tous les secteurs industriels et donc le segment du golf devrait en profiter également. Cela n’aurait pas été le cas si les démocrates étaient passés…
V.L : Depuis que vous avez gagné votre premier Open de France en 1980, êtes-vous revenu en France et avez-vous rejoué sur le Golf National ?
G.N : Non, malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de rejouer là-bas, mais la France m’intéresse particulièrement et, avec mon cabinet d’architecte, nous étudions des possibilités de partenariat et d’implantation de parcours dans l’hexagone dans les années à venir. Je ne peux pas donner trop de détails, mais nous regardons dans le sud de la France pour le golf et dans les Alpes françaises pour de l’hôtellerie liée à la pratique du ski… Je ne vais pas tout dévoiler, mais il s’agira certainement de projets en partenariat avec une grande société française… Globalement, l’Europe m’intéresse énormément, tout comme le Moyen-Orient. Nous allons d'ailleurs commencer la construction de nouveaux parcours en Jordanie et en Croatie.
V.L : Globalement, ces dernières années, le nombre de licenciés dans le monde est en baisse. En tant que concepteur de parcours de golf, avez-vous des idées pour démocratiser ce sport et le rendre plus attrayant, notamment pour les jeunes, afin d’inverser cette tendance ?
G.N : Une fois encore, il y a plusieurs facteurs à prendre en compte si l’on veut que les jeunes se mettent au golf. Nous avons commencé à faire des parcours plus courts ( 6 + 6 trous au lieu de 9 + 9). Mais faire du golf un sport fun ce n’est pas nécessairement construire des parcours plus fun. Il faut juste permettre aux jeunes de ne pas jouer comme leurs parents. Ils veulent venir comme ils sont, avec leur téléphone portable, habillés comme ils le souhaitent… C’est comme ça que nous allons attirer une nouvelle génération de joueurs ! Mais il ne faut pas non plus faires que des parcours trop simples, sinon nous allons perdre les golfeurs actuels…
V.L : Combien de parcours de golf avez-vous construit au Bahamas ?
G.N : Seulement deux, le "South Ocean" à Nassau et ici, le "Sandals Emerald Bay". Pour construire des parcours aux Bahamas, il faut de l’eau, ce qui est assez compliqué, car cela nécessite des pompes et des équipements de désalinisation qui consomment beaucoup d’énergie. Mais ici l’environnement est incroyable, avec ce sable si blanc et le bleu de l’océan… Pour moi, le trou N° 9 d’Emerald bay est l’un trois meilleurs au monde !
V.L : Avez-vous regardé le tournoi de golf aux Jeux olympiques et qu’avez-vous pensé de l’attitude de certains joueurs, parmi les premiers mondiaux, qui n'ont pas fait le déplacement ?
G.N : Oui j’ai regardé les J.O. Je trouve que ça s’est plutôt bien passé car il y avait pas mal d’incertitudes quant à la façon dont le public accueilleraient ce sport aux Jeux. Quant à la façon dont certains "top players" se sont comportés en refusant d’y participer pour de mauvaises raisons, je n’ai pas trop envie de faire de commentaires…
Mais finalement, sur le parcours, la tension était palpable et la finale restera un grand moment de golf. Espérons qu’à Tokyo les "top players" seront présents et que le public votera pour que le golf reste au programme des J.O. Pour ma part c’est une évidence et certains joueurs regretteront bien vite leurs commentaires négatifs….
V.L : Que pensez-vous de la jeune génération de golfeurs et auriez-vous aimé jouer avec les nouvelles technologies de clubs et de balles ?
G.N : En fait, non ! Chaque génération joue tous avec les meilleures technologies du moment. Je sais ce que j’aurais pu faire avec les technologies d’aujourd’hui, mais je n’aurai pas pu faire ce que j’ai fait sans mon équipement de l’époque. De nos jours le matériel aide à avoir l’air bon sans être très bon… La différence est que nous devions être tellement précis avec notre swing ! Aujourd’hui, on peut louper un swing et quand même faire un bon coup… Ce qui serait vraiment intéressant serait de prendre les joueurs d’aujourd’hui et de les faire jouer avec notre matériel d'alors et voir ce qu’ils ils en feraient…
V.L : Pour un parcours comme celui du Sandals Emerald Bay, combien d’années de réflexion, de préparation et de réalisation sont nécessaires ?
G.N : Disons 5 minutes !!! Non, je plaisante. Quand je suis arrivé ici il n’y avait rien. Une plage superbe et un projet d’hôtel. Alors je me suis mis à l’emplacement du 18e trou et j’ai su où serait le départ et le Club House. Une règle fondamentale quand on dessine un parcours: il faut toujours que le dernier trou soit le plus mémorable.
Tout était là et il nous a fallu 3 dessins (quand certains ont besoin d’une trentaine NDLR). Sandals est le 5ème propriétaire de ce parcours et ils en prennent grand soin. Grâce à eux beaucoup de gens viennent jouer ici et reviennent rien que pour les 12 premiers trous qui sont un vrai régal pour les joueurs de bon niveau.
V.L : Si nous avions un terrain disponible en France, combien cela couterait-il pour avoir un parcours signé Greg Norman?
G.N : Cela dépend. Si vous proposez un terrain sur une dune de sable et des conditions météorologiques parfaites, nous pourrions facilement construire, mais avec deux options : Signature ou Eco Signature. Pour un design "Signature" il faut prévoir environ 1.2 million d’USD et pour un "Eco Signature" ça peut monter jusqu’à 1.8 Millions d’USD. Pour la construction elle-même, sans grosse difficulté particulière liée au terrain, il faut prévoir 5 à 6 millions de USD.
Dans le Colorado par exemple, nous avons construit un parcours sur 3 étés (car le terrain gèle l’hiver NDLR). Au final il nous a coût 1,5 million de USD par trou…
En Asie, nous avons assuré la construction d’un parcours sur les flancs d’un volcan éteint. Un chantier énorme dont le prix fût exorbitant. Mais comme le propriétaire n’avait pas de limite de budget…
V.L : Pensez-vous que les européens ont une chance contre les américains pour la prochaine Ryder Cup ?
G.N : Sans aucun doute !
V.L : Parmi les différentes activités de votre groupe ( le design de parcours, les vins, les textiles pour le golf, l’immobilier,… ) quelle est, économiquement, la part la plus importante et celle qui est la plus chronophage ?
G.N : Je suis très impliqué dans le design des parcours car c’est une vraie passion. Je ne trouve rien de plus excitant que de prendre un terrain vierge et le transformer pour correspondre aux attentes de mon commanditaire. Cette première activité a ouvert beaucoup de portes à ma société. J’ai 45 parcours sous contrat et 18 en construction, dans le monde. Donc j’ai une vision assez objective de l’avenir de ce secteur, car je sais d’où les investissements viennent et où ils vont…
Pour le reste, cela fonctionne plutôt sous licences et avec des partenariats. Pour le vin, j’ai est montée une joint-venture avec deux producteurs en Australie et en Californie. Nous achetons le raisin, nous fabriquons le vin et nous le vendons…
Pour les vêtements, nous sommes sous licence et sommes essentiellement impliqués dans le Marketing et les RP, car notre nom est sur les produits. Mais tout ceci est très excitant, car nous avons beaucoup de projets en cours dans le monde entier.
V.L : Vous semblez très en forme, on voit que vous pratiquez le fitness. Avez-vous une vision aussi claire du monde du fitness que de celui du golf et souhaiteriez-vous investir dans ce secteur ?
Pour moi, le fitness est une partie de ma vie ! Je déstresse presque 5 jours par semaine, dans l’après-midi. J’ai en ai besoin pour souffler et réfléchir aux projets à valider. Quand je jouais au golf, je faisais beaucoup de fitness et j’en ressentais clairement les bénéfices. Aujourd’hui je continue car il n’y a rien de meilleur que de se lever le matin et se sentir fort et en forme. Le golf a beaucoup endommagé mon corps et si j’arrêtais le fitness, je pense que je le payerais très cher. Sur le plan business… on en reparlera dans 18 mois, peut être…
Merci !
Propos recueillis à Great Exuma, septembre 2016.
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